Cette nuit, c’était ma première fois… Vous vouliez la suite? (2)

Je n’imaginais pas en écrivant l’article « cette nuit, c’était ma première fois… »  trouver autant d’engouement de la part de celles et de ceux qui me font le plaisir de me lire…

De l’engouement, mais également l’envie d’en savoir plus et de connaître la suite de mon récit. Sans m’en rendre compte, et sans me prendre pour le Hitchcock des blogs, j’ai –presque à mon insu- créé un suspense qui m’a valu beaucoup de commentaires de personnes m’encourageant à écrire la suite.

Pour les personnes qui n’auraient pas lu l’article concerné, voici le résumé de la problématique.

Il y a une quinzaine d’années, je suis propulsé Responsable d’une antenne emploi destinée à accompagner, à Paris, le repositionnement professionnel de plusieurs centaines de salariés dans le cadre d’un plan social. Après avoir fait, en quelques mois, mes preuves dans ce grand cabinet, je deviens le directeur de ce relais emploi et suis amené à devenir le N+1 de 25 consultants qui, pour la plupart d’entre eux, étaient quelques jours avant des collègues. Certains d’entre eux sont plus âgés que moi, voire plus expérimentés dans le domaine d’activité.

Comment manager ses anciens collègues ? Telle est la problématique.

Voilà comment les choses se sont passées pour moi.

Ma nomination s’est faite publiquement lors d’une réunion animée par ma propre hiérarchie, en présence de tous les consultants..

Après avoir donné quelques éléments d’information généraux sur la mission, mon manager termine en disant : « nous avons décidé, au sein de la direction, de mettre à la tête de cette opération d’envergure et de cette antenne emploi, qui je le rappelle est la plus grande ayant jamais vu le jour en France, le seul à même de porter une telle responsabilité : Frédéric LEVY.

La formule est flatteuse et je sens mon cœur battre un peu plus fort lorsqu’elle est énoncée.

Je croise plusieurs regards, plusieurs sourires.

J’entends même une voix qui se voulait discrète mais néanmoins audible dire « j’en étais sûre… »

Mon n+1 annonce également que des entretiens -que j’animerais- auraient lieu dans les prochains jours avec tous ceux et celles qui sont intéressé(e)s par cette mission et que d’autres personnes seront susceptibles d’être recrutées.

Au sortir de la réunion, plusieurs consultants viennent vers moi. On me félicite. On me toise. On me teste.

C’est l’heure du déjeuner. Les premières plaisanteries sonnent. « Tu viens déjeuner avec nous, Frédéric, ou c’est fini maintenant que tu joues dans la cour des grands ? ». Je choisis de répondre sur un ton léger… « Mon estomac n’a pas changé, même si je deviens manager… »

Nous allons tous déjeuner ensemble.

Alors que je n’ai encore rien dit, rien fait, tout change déjà. Ils ne me regardent plus de la même façon, ils ne s’adressent plus à moi comme auparavant. Le tutoiement, qui était déjà instauré au préalable, est bien sûr maintenu et pourtant il ne résonne pas de la même façon.

Au restaurant, j’ai besoin de passer un appel téléphonique et je me rends compte que je n’ai plus de batterie sur mon portable…

J’en fais part discrètement à mes voisins de table et pourtant je suis entendu par une consultante attablée un peu plus loin. Elle s’empresse de me proposer son propre portable. Elle me demande quel est mon opérateur pour que je puisse mettre ma carte Sim dans le sien et passer tranquillement mon appel. Je suis presque surpris de cet élan de générosité. Je suis d’autant plus surpris qu’il vient d’une jeune consultante qui jusqu’à présent ne favorisait pas de partage ou de communication avec moi. Elle avait d’ailleurs pris cette curieuse habitude, depuis plusieurs mois, de m’appeler « mon p’tit Frédéric ». C’était étrange. Une façon un peu familière, presque « supérieure » de s’adresser à moi. Cette fois-ci, elle avait dit « Frédéric ». D’ailleurs, je ne l’entendrais plus jamais m’appeler « mon p’tit Frédéric ». Deux premières leçons à retenir :

1) on essaie toujours de rendre service à son manager.

2) On ne s’adresse pas de la même manière à son manager et à un collègue !

 Puis, le ballet des entretiens commença. Certains initiaient l’entrevue en soulignant la fierté que je devais éprouver d’avoir été choisi pour porter une mission avec un tel enjeu. D’autres, choisissaient de me dire en premier lieu qu’ils se feraient un plaisir de travailler à mes côtés sur ce gros chantier.

Je me souviens encore de cette consultante qui avait « de la bouteille », à table mais également dans le métier qui, tout en procédant comme ceux qui jugeaient bon de me féliciter en premier lieu, n’avait pas tardé à jeter quelques ombres sur le projet… « C’est un projet intéressant mais casse-gueule… ça ne te fait pas peur ? » puis d’ajouter « j’aimerais pas être à ta place… ». J’avais envie de lui répondre « ça tombe bien, tu n’y es pas… » mais je m’abstenais de lancer les hostilités et me contentai de répondre sobrement que c’était « un beau challenge et que j’aimais les challenges ».

J’avais déjà l’intuition -une intuition qui allait se confirmer- qu’elle briguait ma place et que derrière ce « j’aimerais pas être à ta place », il fallait lire au contraire « j’aurais tant voulu être à ta place », pire peut-être « je ne comprends pas pourquoi, alors que je suis plus expérimentée que toi, ce n’est pas moi qu’ils ont choisie ». C’était une forte personnalité. Un atout pour faire face à des cadres exigeants à repositionner, et pourtant, manifestement un peu « brut de décoffrage ». J’imagine qu’on s’était dit en haut lieu qu’elle ne « passerait » pas avec le client, pas plus avec cette équipe de consultants à la fois riche et bigarrée.

 Elle termina l’entretien, en m’assurant que je pouvais m’appuyer sur elle et qu’un appui comme le sien n’était pas à négliger… Je la remerciai courtoisement pour son aide.

Je n’allais pas tarder à me retrouver de nouveau confrontée à cette personne.

Au bout de quelques semaines, un conflit éclata entre cette consultante endurcie et une jeune consultante débutante. La première était venue me voir en criant haut et fort sa désapprobation par rapport à la seconde. Elles s’étaient querellées sur un sujet technique relatif à l’activité. J’avais accepté de la recevoir pour qu’elle m’expose la problématique. Je constatai à quel point elle maniait à cette occasion l’art de l’influence dans sa communication par un usage abondant de questions influencées. La plupart de ses phrases commençaient, en effet, par « enfin, tu es d’accord avec moi, on ne peut pas… » ou encore « J’imagine que toi aussi à ma place tu aurais… » ou pire encore « n’importe qui de sensé aurait réagi ainsi, n’est-ce pas ? »

J’eu quelques difficultés à obtenir d’elle un récit posé et factuel de ce qui s’était passé. Je ne me positionnai pas durant l’entretien mais me contentai de reformuler, de questionner et de comprendre.

Pendant l’entretien, elle n’arrêtait pas de faire allusion au fait qu’on était d’anciens collègues… « on va pas se la raconter » disait-elle, ou encore « tu me connais Frédéric, on a déjà travaillé ensemble… »

 Je lui annonçai, en guise de conclusion, que j’allais recevoir l’autre consultante et que j’envisagerai probablement ensuite de les recevoir toutes les deux, ensemble.

 Elle me serra la main d’une poignée énergique comme si elle souhaitait imprimer dans la paume de ma main ses convictions dans cette affaire.

Je reçus alors la deuxième consultante. Un autre d’état d’esprit. Elle semblait peinée par ce qui s’était passé. Elle me raconta l’affaire, de son point de vue, et la difficulté qu’elle avait de travailler avec cette collègue qui, mettant en avant son expérience, avait tendance, disait-elle, à tyranniser les plus jeunes. Je lui demandai d’illustrer son propos par des exemples concrets et factuels. Elle s’exécuta.

Vu l’état émotionnel de cette collaboratrice, je compris vite qu’elle avait assez mal vécu cet épisode et qu’elle en était fragilisée.

Je lui annonçai que je souhaitais les voir toutes les deux, ensemble.

Ce que je fis.

L’atmosphère était pesante dès le début de l’entrevue. Je les laissais une nouvelle fois s’exprimer sur le sujet. La communication était de tout évidence rompue. La première, la plus ancienne, l’écrasait totalement et la laissait à peine parler. La seconde semblait physiquement impressionnée par sa collègue et ne tardait pas à avoir les yeux rouges…

Ma décision était prise. Premier point : éviter, tant que les tensions n’étaient pas apaisées, de les mettre en co-animation face à un groupe.

Puis, je décidai d’aller plus loin. Je décidai de donner mon point de vue sur le problème de fond du désaccord. Et donc de trancher…

Je savais que j’allais m’attirer la foudre, mais cela ne me faisait pas peur.

 Je trouvais que dans les faits, c’était bel et bien la plus jeune qui avait raison. Je l’exprimai clairement. Je demandai donc aux deux collaboratrices de mettre en application cette option. La consultante expérimentée était furieuse. La plus jeune déjà terrifiée face à la réaction de sa collègue.

Je calmai la véhémence de la première et annonçai la fin de l’entretien.

Avec du recul, je continue à me dire que dans cette affaire, je n’avais pas choisi la solution la plus facile. J’aurais pu ménager la chèvre et le choux, sans me positionner… J’aurais pu aussi me ranger à l’avis de la première pour éviter de faire des vagues. Non. J’avais pris la décision qui me semblait juste. J’avais fait travailler ma tête, en laissant tout affect de côté et j’avais assumé mon point de vue.

Je compris, ce jour, ce qu’était le courage managérial.

La consultante expérimentée ira peu après, dans mon dos, rencontrer son n+2, mon manager direct, pour lui faire part de son mécontentement, prétendant que depuis que j’étais devenu manager, je ne me mettais plus « à la place des autres ».

Mon hiérarchique me donnera raison. Il ne renouvellera pas le contrat de cette consultante, une fois la mission finie, tandis que mon contrat sera converti en CDI.

Être manager, ça n’est déjà pas facile en soi. L’être dans ces circonstances, face à d’anciens collègues parfois plus âgés ou plus expérimentés, c’est encore plus périlleux !

 Enfin, cette expérience, cette « première fois » qui allait marquer mon parcours professionnel, allait connaître une fin inattendue…

Ce pourrait être l’objet d’un prochain récit… Qu’en dîtes-vous ?

 

Ne partez pas déjà!

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